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41. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

Être distingué, dans ce temps, c’est un inconvénient… Quand l’envie de l’égalité abaisse les lettres vers le commun où tout le monde peut se rencontrer, quand Victor Hugo lui-même, pour être populaire, aplatit son talent qu’il aurait dû respecter, s’aviser de montrer dans le sien de la distinction est un début bien imprudent pour un jeune homme. […] C’est toujours le mot si comique de madame de Staël, de madame de Staël avec laquelle pourtant l’Autorité avait le droit de se montrer plus sévère que la Critique n’a le droit de se montrer distraite avec Gravillon : « Si vous avez des enfants, monsieur, — disait-elle en riant au colonel de gendarmerie qui la reconduisait à la frontière de Suisse, — apprenez-leur ce que le talent rapporte et dégoûtez-les d’en avoir !  […] La Bruyère l’a fasciné, La Bruyère, cet opulent misanthrope, sans violence et sans brusquerie, poli et méprisant, triste au fond comme Chateaubriand, et qui a les mêmes raisons de l’être ; La Bruyère, qui sait le néant de la vie, mais qui, comme les gens du xviie  siècle qui n’étaient pas de Port-Royal comme Pascal, avait trop de convenance mondaine pour montrer sa tristesse, cette coquetterie des temps égoïstes et débraillés ; La Bruyère est une terrible menace pour l’originalité de l’homme qui l’admire. […] Montrer toutes les plumes d’un oiseau, les unes après les autres, ne donne pas l’idée de son plumage : il faut les voir, quand il s’envole, réunies sur ses ailes ouvertes, ces aquettes de la lumière qui sont faites pour la renvoyer !

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