À la fin, ils n’auront plus d’autre emploi ni d’autre intérêt : causer, écouter, s’entretenir avec agrément et avec aisance de tous les sujets, graves ou légers, qui peuvent intéresser des hommes ou même des femmes du monde, voilà leur grande affaire. […] En effet, d’un bout à l’autre de sa philosophie, pour toute préparation il ne demande à ses lecteurs que « le bon sens naturel », joint à cette provision d’expérience courante que donne la pratique du monde. — Comme ils sont l’auditoire, ils sont les juges. « C’est le goût de la cour qu’il faut étudier, dit Molière350, il n’y a point de lieu où les décisions soient si justes… Du simple bon sens naturel et du commerce de tout le beau monde, on s’y fait une manière d’esprit qui, sans comparaison, juge plus finement les choses que tout le savoir enrouillé des pédants. » — À partir de ce moment, on peut dire que l’arbitre de la vérité et du goût n’est plus, comme auparavant, l’érudit, Scaliger par exemple, mais l’homme du monde, un La Rochefoucauld, un Tréville351. […] Dans ce monde abstrait, on se dit toujours « vous », « seigneur » et « madame », et le style noble pose la même draperie sur les caractères les plus opposés. […] Dans cet énorme monde moral et social, dans cet arbre humain aux racines et aux branches innombrables, ils détachent l’écorce visible, une superficie ; ils ne peuvent pénétrer ni saisir au-delà ; leurs mains ne sauraient contenir davantage. […] Le docte Huet (1630-1721), qui en était resté au goût du seizième siècle, décrit ce changement très bien et à son point de vue. « Quand je suis entré dans le monde des lettres, elles étaient encore florissantes ; de grands personnages en soutenaient la gloire.