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559. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

Si, dans le système du monde, les diverses natures des êtres, des espèces, des choses, des sensations, se tiennent par des intermédiaires, il est certain que la passion du crime est le chaînon entre l’homme et les animaux ; elle est à quelques égards aussi involontaire que leur instinct, mais elle est plus dépravée ; car c’est la nature qui a créé le tigre, et c’est l’homme qui s’est fait criminel : l’animal sanguinaire a sa place marquée dans le monde, et il faut que le criminel le bouleverse, pour y dominer. […] L’ordre social, qui placerait un tel criminel sur le trône du monde, ne l’apaiserait pas envers les hommes ses esclaves ; rien de restreint dans des bornes fixes, fut-ce le plus haut point de prospérité, ne peut convenir à ces êtres furieux, qui détestent les hommes comme des témoins de leur vie. […] Mais, je m’aperçois qu’en parlant du crime, je n’ai pensé qu’à la cruauté ; la révolution de France concentre toutes les idées dans cette horrible dépravation : et, après tout, quel crime y a-t-il au monde, si ce n’est ce qui est cruel, c’est-à-dire, ce qui fait souffrir les autres ? […] Cet acte irréparable, cet acte qui seul donne à l’homme un pouvoir sur l’éternité, et lui fait exercer une faculté qui n’est sans bornes que dans l’empire du malheur ; cet acte, quand on a pu, dans la réflexion, le concevoir et l’ordonner, jette l’homme dans un monde nouveau, le sang est traversé ; de ce jour, il sent que le repentir est impossible, comme le mal est ineffaçable ; il ne se croit plus de la même espèce que tout ce qui traite du passé avec l’avenir.

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