Ce regret doit être en partie consolé, me dira-t-on, par la publication même dont il s’agit en ce moment. […] Je sais qu’il ne pouvait guère en être autrement dans la circonstance et du moment que tout se faisait sous les auspices et de concert avec la famille ; et cet accord ici était de stricte convenance, sinon de nécessité. […] Mme de Staël se l’était attaché à titre de précepteur de ses enfants ; mais Schlegel, qui avait ses travers, affectait devant le monde de n’être auprès d’elle que sur le pied d’un ami. « Schlegel, écrivait-elle dans un moment d’épanchement, a des défauts qui me cachent quelquefois ses vertus. » Témoin journalier de l’humeur et même des ridicules de Schlegel (car il en avait qui sautaient aux yeux), Bonstetten disait plus gaiement et en y mettant moins de façon : « Les jours où Schlegel n’est pas gentil, il est impitoyablement fouetté, et le plus joli, c’est que Mme de Staël se charge elle-même de la punition ; alors elle a trois fois plus d’esprit. » Quoi qu’il en ait pu être de ces petites querelles amusantes, Schlegel lui fut, pendant des années, du plus grand usage par ses qualités, par son savoir ingénieux et profond. […] Le moment où Sismondi trouvait la conversation de Coppet moins agréable et trop personnelle était celui où Mme de Staël, dans le paroxysme de la souffrance, écrivait à Mme Récamier cette lettre éperdue et comme délirante qui révèle toute l’étendue et la singularité de son mal : « Je suis plongée dans une espèce de désespoir qui me dévore ; ne faut-il pas que je tente d’y échapper ?