Ici, dans le Génie du christianisme, il reparaissait tout autre ; bien que les couleurs brillantes et poétiques donnassent le ton général, et qu’il s’attachât à émouvoir ou à charmer plutôt qu’à réfuter, il prenait l’offensive sur bien des points : il s’agissait, au fond, de retourner le ridicule dont on avait fait assez longtemps usage contre les seuls chrétiens ; le moment était venu de le rendre aux philosophes. […] Oui, tout est chance, hasard, fatalité dans ce monde, la réputation, l’honneur, la richesse, la vertu même… » Et cette note, qui peut tenir lieu des trois ou quatre autres qui sont aussi expressives et aussi formelles sur le même sujet, finit en ces mots sinistres : « Il y a peut-être un Dieu, mais c’est le Dieu d’Épicure ; il est trop grand, trop heureux pour s’occuper de nos affaires, et nous sommes laissés sur ce globe à nous dévorer les uns les autres. » Ainsi donc voilà où en était Chateaubriand à la veille du moment où il fut vivement frappé et touché, et où il conçut l’idée du Génie du christianisme. […] Mais il en est sorti, et c’est ce beau côté victorieux que je tiens à mettre pour le moment en pleine lumière. […] Le ton de cette lettre paraîtra certainement étrange, le style est exagéré ; celui qui écrit est encore sous l’empire de l’exaltation, mais le caractère véridique de cette exaltation ne saurait être mis en doute un moment. […] Ainsi, quoi que vous entendiez dire, quoi qu’il puisse tôt ou tard se révéler des variations, des contradictions subséquentes ou antérieures, de M. de Chateaubriand, un point nous est fermement acquis : jeune, exilé, malheureux, vers le temps où il écrivait ces pages pleines d’émotion et de tendresse adressées « Aux infortunés », — sous le double coup de la mort de sa mère et de celle de sa sœur, — les souvenirs de son enfance pieuse le ressaisirent ; son cœur de Breton fidèle tressaillit et se réveilla ; il se repentit, il s’agenouilla, il pria avec larmes ; — la lettre à Fontanes, expression et témoignage de cet état d’exaltation et de crise mystique, est écrite de la même plume, et, si je puis dire, de la même encre que l’ouvrage religieux qu’il composait à ce moment et dont il transcrivait pour son ami quelques pages.