Il a dû changer d’armes plus d’une fois et se transformer pour se faire égal aux circonstances ; mais, certes, ce qui ne lui a jamais manqué, c’est le courage ; ce n’est pas non plus l’intelligence des temps, des moments et de la société moderne largement envisagée, hardiment comprise, et si souvent talonnée par lui ou devancée en plus d’un sens. […] Émile, qui va dans le monde comme on irait en pays ennemi, s’est fait de bonne heure une contenance qu’il nous définit ainsi, à un moment où il juge à propos de la modifier : « Au lieu de cet air grave qu’on m’avait reproché si souvent, comme me donnant un maintien important et dédaigneux, je conservai le ton railleur et caustique que j’avais adopté pour me dispenser de répondre directement aux questions… » Il a souvent rencontré un jeune homme, Édouard de Fontenay, qui l’a regardé d’un air qui lui déplaît ; il a résolu de lui donner une leçon. […] Cet Édouard, contre lequel Émile se montre si irrité et qu’il veut châtier, est son propre frère utérin, le fils légitime de sa mère, et l’abbé lui nomme alors cette mère pour la première fois. — « J’ai donc des parents, repris-je vivement avec un mouvement qui ressemblait à de la joie, mais qui dura moins de temps qu’il n’en fallut pour l’exprimer. » — Ceci est beau, beau de nature ; car, au moment même où cette joie le traverse, une angoisse cruelle a saisi l’âme d’Émile : il avait déjà provoqué Édouard, déjà le duel est réglé, c’est le lendemain malin qu’il doit se battre, et il apprend que c’est contre un frère !