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664. (1887) Essais sur l’école romantique

Autres temps, autres rôles : c’est maintenant le poète qui demande au siècle un sujet, et il le lui demande avec instance, avec obstination, et il prie tous ceux qui sont de ce siècle de lui dire quelle doit être la tâche de l’art, si grande et si ardue que puisse être cette tâche ; mais le siècle ne lui renvoie que des demi-croyances qui transigent avec l’incrédulité, des demi-passions qui transigent avec le bon sens, une société qui doute d’elle-même, de la poussière d’institutions et de mœurs, quantité de profils et point de faces, des hommes et des femmes et point d’humanité. […] On est saturé de ces mœurs prétendues contemporaines, de ces brutales amours du Midi qui violent et qui poignardent, transplantées dans notre monde tempéré, où les passions sont plus décentes que violentes pour quiconque sait regarder et voir. […] Qui est-ce qui a jamais pratiqué les héros de ses romans, les mœurs de ses contes, les passions de ses drames ? […] Quiconque a un fauteuil où se reposer le soir, quiconque craint la chaleur d’une salle de théâtre, ou le refroidissement à la sortie, — placé entre la crainte de la moindre incommodité et le désir de s’aller enquérir des destinées de l’art dramatique, — se tient chez soi, préférant un repos qui rafraîchira sa tête à une distraction théâtrale qui y mettra le désordre, et trouvera plus de vrai plaisir à faire sauter ses enfants sur ses genoux qu’à s’aller donner des cauchemars de faux scélérats et de filles mères, et à s’indigérer (qu’on me passe le mot) de mauvaises mœurs, de mauvais langage, de paradoxes sans sel et d’invraisemblances sans esprit.

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