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1858. (1888) Portraits de maîtres

L’épithète redevint comme dans Homère une marque caractéristique destinée à fixer les nuances, à discerner les objets, à faire comprendre qu’un bois vu à midi n’offre pas les mêmes aspects qu’à une autre heure du jour et qu’une rivière peut avoir son caractère physique (les anciens disaient plus hardiment, en parlant des choses, mores, des mœurs) aussi bien qu’un héros de tragédie a son âme distincte. […] Ainsi nous voyons régner moins de bonhomie, moins de simplicité dans les mœurs des générations nouvelles ; la raideur anglaise ou le laisser-aller américain a prévalu chez beaucoup de nos jeunes hommes sur la bienveillance naturelle et la facile gaîté d’autrefois ; le fond n’en est pas atteint, mais la forme est de plus en plus contraire au génie du rapprochement, à la pratique d’une égalité quotidienne. […] L’abondance de l’instruction déjà si répandue depuis quelques années, l’action lente mais certaine des lois sur les mœurs, la profusion d’idées morales que l’on sème et qui fructifieront, nous préparent assurément un avenir supérieur à l’époque de transition où nous devons nous contenter d’accomplir notre devoir. […] Quiconque eût prédit au xviie  siècle tout ce que la France a conquis d’entente civique, d’unité dans la législation, dans les usages et dans les mœurs, eût été traité de fou chimérique et relégué au nombre des Visionnaires de Desmarets ou renvoyé avec Cyrano de Bergerac aux lointaines régions de la lune. […] Ces illustres champions de notre cause n’ont pas cessé durant le second Empire de protester contre la licence des mœurs ; ce qu’ils ont fait au nom de la morale indépendante et de la tradition républicaine, Victor de Laprade le fit au nom des idées libérales et de la morale chrétienne ; le point de départ est différent, mais la marche est la même et le but identique.

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