On suit à la fois distinctement le plan général comme dans une relation moderne, et chaque duel singulier comme dans un combat de l’Iliade. […] Mais si les paroles sont un peu grosses et « moult félonnesses », si ce sont des paroles peut-être antiques de crudité, le motif est bien délicat et tout moderne : Je vous dirai pourquoi, dit Froissart qui ne perd jamais une occasion de glisser dans l’histoire un coin de galanterie : ces deux chevaliers, qui étoient jeunes et amoureux, ainsi le peut-on et le doit-on entendre, portoient chacun une même devise sur le bras gauche, une figure d’une dame en bleu brodée sous des rayons de soleil, et ils ne la quittoient jamais en aucun moment. […] On a vu l’ordre des combattants ; mais Froissart, qui veut être exact et qui est au niveau de la stratégie de son époque, Froissart, qui, en son genre, est aussi clair dans son récit de la bataille de Poitiers que tel moderne peut l’être dans celui de la bataille d’Austerlitz, nous expose que l’ordonnance du prince de Galles a de plus cela de particulier, qu’il a formé, d’une part, un corps d’élite de chevaliers pour faire tête à la bataille des maréchaux de France, et que, d’autre part, à main droite, sur une montagne qui n’est pas trop roide à monter, il a disposé trois cents hommes à cheval et autant d’archers à cheval également, pour longer à la couverte cette montagne et tomber à l’improviste, à un moment donné, sur le corps du duc de Normandie, qui est rangé au pied. […] Mais le sentiment moderne chevaleresque était plus sincère dans ses imprudences, et il n’attendait pas pour honorer l’ennemi qu’il fût par terre ; c’est ce qui donnait le droit au prince de Galles de dire à son « cher Sire » captif qu’il ne « raillait » pas. […] Villemain a fait ressortir la supériorité morale du sentiment moderne.