Mme de Staël, génie mâle dans un corps de femme : esprit tourmenté par la surabondance de sa force, remuant, passionné, audacieux, capable de généreuses et soudaines résolutions, ne pouvant respirer dans cette atmosphère de lâcheté et de servitude, demandant de l’espace et de l’air autour d’elle, attirant, comme par un instinct magnétique, tout ce qui sentait fermenter en soi un sentiment de résistance ou d’indignation concentrée, à elle seule, conspiration vivante, aussi capable d’ameuter les hautes intelligences contre cette tyrannie de la médiocrité régnante, que de mettre le poignard dans la main des conjurés ou de se frapper elle-même pour rendre à son âme la liberté qu’elle aurait voulu rendre au monde ! […] Quand les sanglots de la jeune veuve arrivaient jusqu’aux enfans, ceux-ci se prenaient à pleurer, et les trois esclaves noires, après avoir répondu par un sanglot à celui de leur maîtresse, se mettaient à chanter des airs assoupissants et des paroles enfantines de leur pays pour apaiser les deux enfants. […] Cette poésie est à créer ; l’époque la demande, le peuple en a soif ; il est plus poète par l’âme que nous, car il est plus près de la nature ; mais il a besoin d’un interprète entre cette nature et lui ; c’est à nous de lui en servir, et de lui expliquer par ses sentiments rendus dans sa langue, ce que Dieu a mis de bonté, de noblesse, de générosité, de patriotisme et de piété enthousiaste dans son cœur.