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1172. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — I » pp. 1-17

» Un homme qui ne veut rien blâmer, mettez ce trait en regard du trait dominant de Saint-Simon, l’onctueuse fadeur en regard de l’amertume qui s’épanche et de l’ardente causticité : c’est le combat des éléments. […] Mais en ce qui est du journal, ce qui amusait véritablement Mme de Maintenon (elle le dit et ce devait être, elle flatte peu, même ses amis), ce qui lui rappelait ce qu’elle avait oublié et qui l’obligeait parfois à rectifier quelques-uns de ses souvenirs, n’est-ce donc rien pour nous, et ne devons-nous pas savoir gré à celui qui nous met à même d’avoir comme vécu à notre tour en ce temps-là ? […] Précédemment, pour les publications partielles qui s’en étaient faites, on n’y avait puisé que dans tel ou tel esprit, Mme de Genlis dans un sens, Lémontey dans un autre ; or, ce qui caractérise le journal de Dangeau, ce qui en fait le cachet et le mérite, c’est précisément qu’il n’y a pas tel ou tel esprit, ni même d’esprit du tout : il y a ce qu’il voit, enregistré jour par jour, et mis bout à bout. […] Dangeau n’a pas la curiosité remuante comme Saint-Simon et ceux qui veulent tout pénétrer, il s’en tient à la face des choses, à l’écorce ; mais il s’attache à être complet là-dessus, et il ne dort tranquille que quand il a mis son registre au courant. […] Ces chasses continuelles exterminent tellement son monde et mettent si fort ses officiers sur les dents, qu’il est obligé un jour de prendre la résolution de ne plus courre que deux fois la semaine, une fois le loup et une fois le cerf.

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