Ce ne fut pas sans quelque difficulté que Frédéric réussit à se faire reconnaître un grand roi et le meilleur guide de la monarchie prussienne par les princes ses frères. […] Je n’accuse point votre cœur, mais votre inhabileté et votre peu de jugement pour prendre le meilleur parti. […] Dès la bataille de Prague (6 mai 1757), il a pris rang parmi les lieutenants de son frère et ses meilleurs généraux53. […] Le prince Henri a du genre humain une bien meilleure opinion que Frédéric ; on n’a pas à beaucoup près toutes ses lettres, mais on en peut jusqu’à un certain point juger d’après les réponses qu’y fait son frère ; le prince Henri, qui n’est pas sans quelques-unes des idées françaises d’alors, et qui a de nos illusions à la Jean-Jacques, soutient volontiers que la vertu et le bonheur habitent dans les cabanes, et qu’il y a par le monde de vrais sages, de parfaits philosophes. Frédéric, qui depuis longtemps a renoncé à l’idéal, et qui se contente en tout, faute de mieux, des à peu près, réplique à son frère et lui déclare, en vertu de l’expérience, que la perfection n’existe pas, que les meilleurs des humains, ce sont les moins vicieux : Vous m’envoyez, lui dit-il, dans les cabanes des pauvres chercher la vertu ; mais les hommes qui les habitent sont-ils sans passions ?