Mais, si mauvaise qu’elle soit, elle n’a pas peur de l’énergie du barbare ; et quoiqu’on n’y voie plus les lignes de ce beau et puissant génie, plus civilisé et plus artiste, comme je le prouverai prochainement, que ceux-là qui parlaient de lui, perdues qu’elles sont sous le fatras du traducteur, comme la statue d’un dieu tombée et engloutie dans la fontaine vaseuse des crocodiles, on y a cependant conscience des tressaillements de ce génie qui vit encore, quoique massacré, et tellement que les Anglais eux-mêmes ont retraduit dans leur langue ces morceaux curieux de Le Tourneur, inspirés de Shakespeare plutôt que traduits de Shakespeare. […] Et aux yeux de ceux-là qui connaissent l’empire continu d’une idée, cela rachète presque la mauvaise politique d’autrefois. […] La paternité débordée, l’amour insensé de Lear pour ses filles, cet amour d’un père aveuglé dont elles ont crevé les yeux avec de monstrueuses flatteries, et son ressentiment non moins aveugle contre la seule de ses enfants qui soit vraie et qui ait pour son père la piété que l’on a pour Dieu, la lâche, faiblesse des gendres imbéciles, les mauvaises filles mauvaises épouses, par une loi fatale et vengeresse, et l’infamie de l’adultère rendue plus horrible par une incestueuse rivalité. […] à ma grande stupéfaction, François Hugo s’est détaché assez de son auteur pour déclarer que Henri VI était une assez mauvaise pièce, très indigne du génie de Shakespeare. […] Il cite Monstrelet et Chastellain, et oppose énergiquement au Roi anglais « flegmatique, — dit-il, — rigide, altier et antipathique », cette ravissante fantaisie de Shakespeare, qui tire, comme on tire un instrument merveilleux d’un étui tombé dans la fange, une perfection de roi du fond du plus mauvais sujet d’Angleterre.