J’ai mis le nez dans Sénèque, et je me suis profondément pénétré de ce précepte (l’endroit est dans l’épître xiii ) : Entre autres maux, la folie a cela de particulier ; elle est toujours à commencer à vivre. […] Il faut l’entendre au retour mêler dans un confus épanchement ses joies, ses tristesses et mortifications, ses espérances : J’écris ceci à mon retour, remerciant Dieu de ce qu’il a permis que je revinsse de là sain et sauf (il craignait apparemment quelque guet-apens), et de ce qu’il m’a accordé de trouver grâce auprès du roi, lequel m’a dit de compter sur sa bienveillance ; mais triste néanmoins et gémissant au dedans que la chose ait si mal tourné pour un ami et un homme de piété. […] On aurait à relever bien d’autres choses dans le journal de Casaubon ; on y apprend bien des particularités sur les hommes célèbres du temps avec lesquels il est en relation, et sur son beau-père Henri Estienne, devenu le plus bizarre des hommes en vieillissant, qui avait si bien commencé et qui a si mal fini, et sur Théodore de Bèze dont la vieillesse, au contraire, est merveilleuse ; et sur des personnages considérables de la Cour de France, le duc de Bouillon et d’autres ; mais le personnage intéressant, c’est lui-même, lui, à toutes les pages, nous faisant l’histoire de son âme : aussi, pour ceux qui aiment ce genre de littérature morale intime qui nous vient de saint Augustin, on peut dire qu’il existe maintenant un livre de confessions de plus. […] [NdA] Ce mot de Henri IV, de ce roi vraiment tutélaire et qui sentait à quel point il l’était, rappelle les belles paroles de Richelieu, en son testament politique, sur la vigilance nécessaire au chef d’un État et sur la gravité de la charge dont il porte le poids à toute heure, la ressentant d’autant plus qu’il est plus habile : « Il faut dormir comme le lion, sans fermer les yeux… Une administration publique occupe tellement les meilleurs esprits, que les perpétuelles méditations qu’ils sont contraints de faire pour prévoir et prévenir les maux qui peuvent arriver les privent de repos et de contentement, hors de celui qu’ils peuvent recevoir voyant beaucoup de gens dormir sans crainte à l’ombre de leurs veilles et vivre heureux par leur misère. »