/ 2901
450. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

« Je me promenais vers le pont d’Iéna ; il faisait un grand vent ; la Seine était houleuse… Je suivais de l’œil un petit batelet rempli de sable jusqu’au bord qui voulait passer sous la dernière arche du pont… Tout à coup, le batelet chavire ; je vis le batelier essayer de nager, mais il s’y prenait mal. « Ce maladroit va se noyer », me dis-je. […] Voilà ce qui s’oppose à mon intervention dans les affaires publiques197. » « Cette prophétie du divin qui m’est habituelle a été fréquente dans tout le cours de ma vie, et dans les moindres occasions elle n’a jamais manqué de me détourner de ce que j’allais faire de mal ; or aujourd’hui, alors qu’il m’arrive ce qu’on pourrait prendre… pour le plus grand des maux, le signe du dieu ne s’est opposé à moi, ni ce matin, quand je suis sorti de ma maison, ni quand je suis venu devant ce tribunal, ni, tandis que je parlais, quand j’allais dire quelque chose. […] Fouillée, les passages de Platon qui semblent contredire le texte formel de l’Apologie ; dans Platon, le signe divin s’oppose toujours et n’incite jamais, ou bien il défend et permet successivement, dans une même question, selon les cas qui se présentent ; il est clair qu’alors il permet implicitement parce qu’il s’abstient de défendre ; selon Xénophon, il aurait donné aussi des conseils positifs ; mais les textes de Platon sont si précis qu’il faut en conclure ou que Xénophon avait mal observé les habitudes de son maître, ou qu’en écrivant les Mémorables il fut mal servi par ses souvenirs sur ce point particulier210. […] Le demonium n’a jamais explicitement révélé l’avenir ; mais c’est une conséquence des théories de Socrate sur la nature du bien et du mal que tout avertissement divin enveloppe une prédiction : ne fais pas cela équivaut à : si tu fais cela, tu t’en repentiras ; car les conséquences bonnes ou mauvaises, soit sensibles, soit supra-sensibles, font la bonté ou le mal de nos actes ; l’avenir et le devoir sont deux corrélatifs ; connaître l’avenir, c’est connaître le bien ; celui qui a la raison théorique complète, comme les dieux et par leur secours, a toute la raison pratique. […] Mais tout différents sont certains faits morbides, encore mal étudiés par les médecins, et rangés provisoirement sous le titre de chorée anormale ; une dame du grand monde parisien, qui est atteinte de cette affection, ne peut s’empêcher d’adresser tout d’abord quelque grosse injure aux personnes qu’elle aborde, puis aussitôt elle leur parle en femme du monde.

/ 2901