/ 2266
790. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

Il se mêle trop de préoccupations extra littéraires dans l’hugolâtrie de l’heure présente. […] Il est resté l’ami préféré de ma pensée ; la flamme de ses vers est tellement mêlée à ma vie, à ma jeunesse, à mes amours, à mes cris de liberté que je l’aime comme moi-même, et que je ne puis remonter le cours de mes années sans me rappeler, à chaque aurore, l’attrait divin de ses poésies. […] Selon les heures, les paysages, les sursauts de passion, nous choisissons tour à tour divers poètes dont le chant exalte notre joie ou se mêle instinctivement à notre douleur. […] Si à telles heures, l’esprit s’émerveille de la grande éloquence du poète de « la Fin de Satan », à telles autres heures, il aimera saigner avec Baudelaire, gronder avec Vigny, sourire avec Banville, sangloter avec Musset ou mêler sa chanson légère à celle du subtil Verlaine. […] Fleuve vaste et impétueux, il étonne par le bruit de ses eaux, par ses remous, ses tempêtes, son ardeur toujours renouvelée ; mais admirez-le de loin, ne vous penchez pas trop sur lui, vous verrez bientôt que ces flots sont lourds d’impureté, que tout ce bruit est vain, que les cailloux se mêlent trop souvent aux perles dans cette cuve sans profondeur.

/ 2266