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2076. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

Sous Jacques Ier, tous les ans, au jour des Rois, la reine, les principales dames et les premiers nobles jouaient un opéra, appelé Masque, sorte d’allégorie mêlée de danses, rehaussée par des décorations et des costumes éclatants, et dont les tableaux mythologiques de Rubens peuvent seuls indiquer la splendeur. « Des lords vêtus à la façon des statues antiques, portant sur la tête des couronnes persanes, avec des enroulements d’or tournés en dedans, le front ceint d’un bandeau de gaze incarnat et argent ; le justaucorps en drap incarnat d’argent coupé de manière à dessiner le nu, à la façon de la cuirasse grecque, rattaché sur la poitrine par une large ceinture de drap d’or brodé qui s’agrafait avec des bijoux ; les manteaux de soie colorée, les uns couleur du ciel, les autres couleur de perle, les autres couleur de flamme ou bronzés254 : les dames en corsage de drap blanc d’argent, brodé de figures de paons et de fruits ; au-dessous, un vêtement lâche, froncé, incarnat, rayé d’argent, divisé par une ceinture d’or, et, sous celui-ci, un autre vêtement flottant de drap azuré d’argent, galonné d’or ; leurs cheveux négligemment noués sous une riche et précieuse couronne ornée de toutes sortes de diamants choisis ; sur le haut, un voile transparent qui tombait jusqu’à terre ; leurs chaussures d’azur et d’or garnies de rubis et de diamants. » J’abrége la description, qui ressemble à celle des contes de fées. […] Ils reparaissent, ces dieux vivants, ces dieux mêlés aux choses, qu’on ne peut s’empêcher de retrouver dès qu’on retrouve la nature : « Cérès, la libérale reine, parmi ses riches cultures, blés, seigles, avoines, orges, vesces, pois en fleur, parmi ses montagnes herbeuses où vivent les brebis broutantes, parmi ses ruisseaux et ses rives, où regorgent les lis et les pivoines qu’Avril, l’humide Avril, pare pour en faire des couronnes aux chastes nymphes306 — Iris dont les ailes de safran versent sur les fleurs des gouttes parfumées et des ondées rafraîchissantes, Iris, la riche écharpe de la terre, qui de chaque bout de son arc bleu couronne les champs boisés et les pentes dégarnies. —  Flore, brillante et parée, assise superbement au milieu de la pompe de toutes ses fleurs, et qui déploie le vert éblouissant de son manteau de fête307. » Toutes les splendeurs et les douceurs du pays moite et mouillé, toutes les particularités, toute l’opulence de ses teintes fondues, de son ciel changeant, de sa végétation luxuriante, viennent ainsi se rassembler autour des dieux qui leur donnent un corps, et un beau corps. […] Le bizarre et terrible cortége défile, conduit par l’harmonie solennelle des stances, et la musique grandiose des rimes redoublées soutient l’imagination dans le monde fantastique, mêlé d’horreurs et de magnificences, qui vient d’être ouvert à son vol. […] L’amas, l’entassement, la confusion, la fermentation et le fourmillement intérieur, mêlé de vapeurs et d’éclairs, le tumultueux encombrement de son imagination et de son esprit, l’oppressent et l’agitent.

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