C’est assurément un grand mérite pour l’historien d’être complet dans ses analyses, ses descriptions, ses narrations ; mais serait-ce un moindre mérite que de faire revivre devant le lecteur cette même réalité que d’autres ont si bien fait voir et comprendre ? […] Le mérite des historiens de notre révolution n’est point d’avoir compris les nécessités politiques ou économiques évidentes qui pèsent sur le développement de ce grand drame, telles que la guerre étrangère, la guerre civile, la disette, la détresse des populations de Paris et des grandes villes ; c’est surtout d’avoir senti l’âme de cette révolution, avec ses passions bonnes et mauvaises, palpiter dans le cœur de tous les hommes qui ont été chargés de la diriger ou de la déchaîner. […] A chacun sa tâche : aux grands hommes, aux Périclès, aux Washington de cette démocratie, l’honneur d’être les ministres de la volonté générale ou les organes de la pensée commune ; à tout le reste, le mérite de contribuer, chacun pour sa part proportionnelle à ses facultés, à l’œuvre de progrès ou de salut de la patrie. […] C’est le mérite de la méthode moderne d’avoir soumis la succession des faits historiques à une sorte de déterminisme compatible avec la liberté des individus et des peuples, en montrant que l’ordre moral a ses lois de même que l’ordre physique. […] L’histoire universelle abonde en fatalités de cette espèce ; mais, si tout cela s’appelle la nécessité, rien de tout cela ne mérite le beau nom d’ordre.