Comme tous les malheureux et comme tous les malades, il espérait changer de fortune et de santé en changeant de lieux ; il ne pouvait croire qu’il ne retrouverait pas le bonheur de ses premières années et le repos de cœur et d’esprit dans le site où il les avait laissés en quittant Sorrente ; il y revoyait son père, sa mère, sa sœur ; il savait que ce père, exilé par ses ennemis, reposait, dans une tombe d’emprunt, sur la rive fangeuse du Pô ; il savait que Porcia, sa mère, ensevelie dans ses larmes, dormait sous les froides dalles du couvent de San-Sisto ; mais il lui restait une sœur chérie, mariée à un pauvre gentilhomme de Sorrente, et qui habitait avec ses enfants la maison et le jardin où il avait lui-même reçu le jour. […] Dix-huit années s’étaient écoulées depuis ce mariage ; la jeune et belle Cornélia était devenue une grave et tendre mère de famille ; elle avait perdu son mari ; elle continuait à vivre seule et dans une médiocrité presque indigente dans sa maison à Sorrente, sans autre fortune que les orangers et les figuiers du petit domaine de ses pères. […] On convint de dire aux autres que l’étranger était un cousin venu de Bergame à Naples pour quelques affaires, et qui avait voulu profiter du voisinage pour visiter pendant quelques semaines ses parents de Sorrente. » L’aspect des lieux où il avait respiré la première fleur de la vie, la tendresse de cette sœur dont le cœur concentrait pour lui toute la famille éteinte ou dispersée, celle de ses deux neveux à qui la mère avait inculqué l’affection et l’enthousiasme pour cet oncle si grand et si malheureux ; cette hospitalité si sûre et si chaude, reçue dans ces beaux lieux et pour ainsi dire dans l’âme même de cette sœur, avaient produit, comme par enchantement, sur le Tasse tout l’effet qu’il avait rêvé. […] Comment la douce et tendre Léonora, devenue riche par l’héritage de sa mère, et confidente nécessaire de la fuite du Tasse, aurait-elle laissé son amant s’évader, sans habits et sans argent, de Bello Sguardo ? […] Je suis né, répliquai-je, d’une mère napolitaine, et à Naples, ville célèbre d’Italie ; mon père était de Bergame, en Lombardie ; je cache mon nom, et telle est son obscurité que, si je me nommais, cela ne vous apprendrait rien ; je fuis la persécution d’un prince et de la fortune, et je vais chercher un refuge en Savoie.