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1303. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

On a parlé quelquefois par métaphore de l’œil de la conscience ; on pourrait dire, en suivant cette image, que la conscience est à la fois un œil lumineux et une oreille sonore, ou, mieux encore, une lumière qui se voit et une parole qui s’écoute elle-même ; des deux parties dont se compose cette métaphore, la première seule serait, à vrai dire, une comparaison ; la seconde, est, à quelques nuances près, la formule adéquate de la réalité. […] L’idée précède le mot, comme la conception précède la naissance46, c’est-à-dire comme l’être vivant conçu et caché précède l’être vivant né au jour et visible ; elle ne voit la lumière, elle ne paraît, qu’avec le mot et par lui. […] Sur cette thèse capitale, les formules abondent, et la plupart méritent d’être citées : « L’homme n’est connu à lui-même que par la parole. — L’esprit se révèle par les mots. — L’homme ne connaît les êtres intellectuels que par les paroles qui les nomment. — Il faut des paroles pour penser ses idées. — Les idées s’engendrent, se lient, se combinent, s’associent, à l’aide de leurs expressions. — La pensée se manifeste, se révèle à l’homme par l’expression, comme le soleil se montre à nous par la lumière. — Notre esprit se voit lui-même dans l’expression comme les yeux se voient dans un miroir49. — Si chaque idée n’avait pas son terme ou son expression propre qui la distingue des autres idées, il n’y aurait en nous qu’une faculté générale de concevoir, sans idée particulière d’aucun objet. — Le langage donne l’exercice à la faculté de penser. — Tous les jours, l’esprit de l’homme est tiré du néant par la parole. — L’entendement est la faculté de concevoir des idées d’objets intellectuels à l’occasion des mots, lesquels rendent ces idées sensibles à l’âme. — L’idée est innée en elle-même, acquise dans son expression. — Les idées innées sont en puissance dans l’esprit de l’homme : ce sont des idées que l’homme peut apercevoir dans son esprit sous certaines conditions ; ces conditions sont la connaissance des expressions qui nomment les idées. — Les idées attendent dans l’esprit qu’une expression vienne les distinguer. — La parole porte la lumière dans les ténèbres de l’entendement, et appelle chaque idée, qui répond : Me voilà !

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