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875. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Il conseille aux poëtes de son école de se retirer au bagage avec les pages et les laquais, aux cours des princes, « où vos beaux et mignons escritz, leur dit-il non de plus de longue durée que vostre vie, seront reçus, admirés et adorés. » « J’ay tousjours estimé, ajoute-t-il, nostre poésie françoise estre capable de quelque plus haut et meilleur style que celui dont nous nous sommes si longuement contentés. » Que la France, si longtemps stérile, « soit grosse enfin d’un poëte dont le luth face taire ces enrouées cornemuses, non aultrement que grenouilles, quand on jecte une pierre dans leur marais. » Quel sera le caractère de la poésie, telle que Du Bellay l’imagine et la désire pour la France ? […] « Qui desire vivre en la mémoire de la postérité, dit-il, doit comme mort en soy-mesme suer et trembler maintes fois ; et, autant que nos poëtes courtisans boivent mangent et dorment à leur aise endurer de faim, de soif et de longues vigiles. » Du Bellay ne veut ni paresseux ni esprits médiocres dans son Parnasse. […] C’est à bâtir ce monstrueux édifice, qui devait crouler après lui, que Ronsard passa une assez longue vie, au milieu de la faveur universelle, richement doté, sauf la difficulté de toucher ses rentes dans ces temps de guerres civiles ; aime des princes, qui comparaient leur couronne à la sienne ; qualifié de prodige de la nature et de miroir de l’art ; admiré par Montaigne et consulté par le Tasse, qui lui lut les premiers chants de la Jérusalem délivrée ; respecté, dans ses vers, par les protestants qui l’attaquaient dans ses moeurs, et remercié officiellement par le pape, pour s’être donné la peine de leur répondre ; pour comble de fortune, mourant avant que Malherbe, qui avait alors trente ans, eût songé à être poète. […] J’en voy qui ont changé de couleur et de teint, Hideux en barbe longue et en visage feint, Qui sont, plus que devant, tristes, mornes et pâles, Comme Oreste agité de fureurs infernales ; Mais je n’en ai point vu qui soient, d’audacieux Plus humbles devenus, plus doulx ni gracieux ; De paillards, continents de menteurs, véritables D’effrontez vergogneurs de cruels charitables De larrons, aumosniers ; et pas un n’a changé Le vice dont il fut auparavant chargé.

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