Les habitudes de la bonne compagnie ont leurs petitesses comme celles de la multitude, et elle est bien plus en mesure de les imposer comme des lois. […] Cet enfant d’une race humiliée a les vices et les passions qui naissent d’une condition pareille ; son origine l’a fait ce qu’il est, haineux et bas, craintif et impitoyable ; il ne songe point à s’affranchir de la loi, mais il est ravi de pouvoir l’invoquer une fois, dans toute sa rigueur, pour assouvir cette soif de vengeance qui le dévore ; et lorsque, dans la scène du jugement, après nous avoir fait trembler pour les jours du vertueux Antonio, Shylock voit inopinément se retourner contre lui l’exactitude de cette loi dont il triomphait avec tant de barbarie, lorsqu’il se sent accablé à la fois sous le péril et le ridicule de sa position, l’émotion et la moquerie s’élèvent presque en même temps dans l’âme du spectateur. […] Dans cette situation, on hésite, comme au moment de détruire ce qu’on ne remplacera point ; on a peur de se trouver sans loi, et de ne rien découvrir que l’insuffisance ou l’illégitimité des principes sur lesquels on se plaisait à s’appuyer sans inquiétude. […] Hamlet seul présente ce spectacle confus d’un esprit formé par les lumières de la société, aux prises avec une situation contraire à ses lois ; et il a besoin d’une apparition surnaturelle pour se déterminer à agir, d’un événement fortuit pour accomplir son projet. […] Il sera large et libre, mais non sans principes et sans lois.