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550. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

C’étaient des surprises galantes à chaque pas, des jeux innocents à chaque heure : on joue à la nymphe, à la bergère ; on prélude aux futures prodigalités en jouant même à l’économie : « M. le duc du Maine se plaignit en sortant du jeu, nous dit la relation, qu’il avait perdu deux écus ; les princesses louèrent leur fortune d’en avoir gagné environ autant. » Dans ces fêtes et dans celles qui se renouvelèrent au même lieu les années suivantes, on voit M. de Malezieu faire à ravir les honneurs de chez lui, remplir et animer en homme universel toute cette petite sphère. […] Ceci interrompit un peu les fêtes de Sceaux, et il y a deux temps, deux époques distinctes dans cette longue vie mythologique de plaisirs, dans ce que j’appelle cette vie entre deux charmilles : la première époque, celle des espérances, de l’ivresse orgueilleuse, et de l’ambition cachée sous les fleurs ; puis la seconde époque, après le but manqué, après le désappointement et le mécompte, si l’on peut employer ces mots ; car, même après une telle chute, après la dégradation du rang et l’outrage, après la conspiration avortée et la prison, cette incorrigible nature, revenue aux lieux accoutumés, retrouva sans trop d’effort le même orgueil, le même enivrement, le même entêtement de soi, la même faculté d’illusion active et bruyante, de même qu’à soixante-dix ans elle se voyait encore jeune et toujours bergère. […] On n’y voit qu’un cercle d’enchantement tracé dès le premier jour, et dans lequel des esprits déjà faits venaient se dépenser en hommages aux pieds de la divinité du lieu, et s’évertuer à l’envi pour la divertir.

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