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203. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

II Un si beau jour, dans un si beau lieu, est admirablement choisi pour parler du beau dans la littérature et dans l’art. […] XV Cet amour amer des lieux abandonnés et des noms toujours chers de ces lieux, autrefois habités par la famille, m’a ramené une fois (il y a longtemps) seul, à pied, un sac de voyage sur le dos, sur ces plateaux et dans ces vallées de la Franche-Comté, pour y voir de mes yeux ces châteaux démantelés, ces usines retentissantes du bruit des marteaux, ces torrents blanchissant de leur écume la roue des moulins qui font tourner les cylindres sous lesquels s’aplatissent les barres de fer ; ces forêts de pins qui gravissent de rocher en rocher les montagnes escarpées de Saint-Claude comme des armées végétales de géants montant à l’assaut des nuages ; ces fromageries, noircies par la fumée des chaudières, bâties en planches dans les clairières de ces forêts, autour desquelles les vaches aux clochettes sonores se groupent le soir pour livrer aux femmes leurs pis gonflés, comme des outres vivantes, de ce lait qui va se convertir en gruyère doré et percé de trous comme un rayon de miel avec ses alvéoles. […] Si on entre dans la cour, on voit d’un côté une allée de marronniers, luxe rare de végétation dans ces contrées déjà froides ; de l’autre, à l’extrémité de carrés du jardin, un pavillon de repos du style architectural de Louis XV, rappelant prétentieusement Versailles dans cette sauvagerie des lieux et des mœurs. […] Il se plongea dans les mâles études de l’antiquité grecque et de l’Allemagne, toujours antique ; études sur la philosophie, sur la poésie, sur l’architecture, sur la musique, sur la sculpture, sur la peinture, ces cinq formes extérieures par lesquelles le beau, caché dans les langues, dans les sons, dans les lignes, dans les nombres, dans le marbre, dans les couleurs, se révèle avec plus ou moins d’évidence et de splendeur dans tous les temps et dans tous les lieux où Dieu suscite le génie pour dévoiler la beauté. […] Nous les avons lues une fois nous-même, d’emprunt, sans pouvoir jamais, depuis, retrouver cette délicieuse cassette, pour en extraire un des bijoux ciselés patiemment sur les hauts lieux du Jura natal, et pour les faire admirer à ceux qui goûtent encore les beaux vers, ces médailles d’une monnaie d’or qui n’a plus cours dans le monde actuel, mais qui a toujours son prix dans le monde du beau.

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