« Lorsqu’en présence des trônes chancelants, au sein d’assemblées ébranlées par l’accent de tribuns puissants ou menacées par la multitude, il me restait un instant pour la réflexion, je voyais moins tel ou tel individu passager, portant un nom de notre époque, que les éternelles figures de tous les lieux et de tous les temps, qui à Athènes, à Rome, à Florence, avaient agi autrefois comme celles que je voyais se mouvoir sous mes yeux… « L’observation assidue des hommes et des événements, ou, comme disent les peintres, l’observation de la nature, ne suffit pas ; il faut un certain don pour bien écrire l’histoire. […] Il en serait résulté que Bonaparte, fortifié et maintenu tout à la fois par les conditions constitutionnelles imposées à son caractère et à son autorité, aurait été forcé de répondre au pays de ses actes, au lieu de ne répondre qu’à lui-même des caprices et des témérités de son génie ; il en serait résulté que toute la gloire nécessaire à la France aurait été acquise et que la gloire folle lui aurait été épargnée ; il en serait résulté que Marengo et Austerlitz auraient illustré nos armées, mais que Moscou, Leipsick, Waterloo n’auraient pas attristé nos drapeaux et fait envahir notre territoire ; enfin il en serait résulté que la France se serait servie d’un grand homme, au lieu qu’un grand homme se servit jusqu’à l’épuisement et jusqu’à l’asservissement de la France. […] C’est une passion que le regret de la patrie, et qui devient violente quand la distance, la nouveauté des lieux, des craintes fondées sur la possibilité du retour viennent l’irriter encore. […] On se disait bien quelquefois qu’on ne reverrait plus la France, qu’on ne pourrait plus franchir la Méditerranée, maintenant surtout que la flotte avait été détruite à Aboukir ; mais le général Bonaparte était là ; avec lui on pouvait aller en tous lieux, retrouver le chemin de la patrie ou se faire une patrie nouvelle.