Par les Éloges de Thomas, par les pastorales de Bernardin de Saint-Pierre, par la compilation de Raynal, par les comédies de Beaumarchais, même par le Jeune Anacharsis et par la vogue nouvelle de l’antiquité grecque et romaine, les dogmes d’égalité et de liberté filtrent et pénètrent dans toute la classe qui sait lire585. « Ces jours derniers, dit Métra586, il y avait un dîner de quarante ecclésiastiques de campagne chez le curé d’Orangis, à cinq lieues de Paris. […] C’est l’esprit de Rousseau, « l’esprit républicain588 » ; il a gagné toute la classe moyenne, artistes, employés, curés, médecins, procureurs, avocats, lettrés, journalistes, et il a pour aliments les pires passions aussi bien que les meilleures, l’ambition, l’envie, le besoin de liberté, le zèle du bien public et la conscience du droit. […] Lorsque l’Anglais leur propose en exemple la Constitution anglaise, « ils en font bon marché », ils sourient du peu ; cette Constitution ne donne pas assez à la liberté ; surtout elle n’est pas conforme aux principes Et notez que nous sommes ici chez un grand seigneur, dans un cercle d’hommes éclairés. […] Malouet lui-même se figure mal le Parlement anglais, et plusieurs, sur l’étiquette, l’imaginent d’après le Parlement de France Quant au mécanisme des constitutions libres ou aux conditions de la liberté effective, cela est trop compliqué. […] À cela la logique de l’Ecole suffit, et la rhétorique du collège fournira les tirades Dans ce grand vide des intelligences, les mots indéfinis de liberté, d’égalité, de souveraineté du peuple, les phrases ardentes de Rousseau et de ses successeurs, tous les nouveaux axiomes flambent comme des charbons allumés, et dégagent une fumée chaude, une vapeur enivrante.