I Portraits d’écrivains I Pascal1 Professer le plus intolérant catholicisme dont l’ardeur ait jamais brûlé âme vivante ; abhorrer l’impiété non comme une erreur, mais comme un crime ; ravaler la nature humaine à n’être plus qu’un gouffre de sottise ou de perversité ; prêcher la foi imposée par la force, maudire la liberté, nier le progrès ; insulter jusqu’à la littérature après avoir traîné dans la boue la philosophie, la science, la morale, tous les splendides paillons de la parade sociale — et cependant voir sa renommée grandie à l’époque même où les gloires les plus pures sont à vau-l’eau et roulent vers l’oubli ; être admiré par des impies, adoré par des sceptiques, quasi vénéré par une génération de littérateurs idolâtres de libre-pensée, de progrès et de tolérance, voilà certes un étrange paradoxe, et telle fut la destinée du grand Pascal. […] Il s’affranchit ainsi de la famille qui gênait son rêve, du métier qui occupait sa pensée, des devoirs sociaux qui enchaînaient sa liberté. […] Il a comme affiché un décret de mise en liberté du mot. […] Visiblement les vers attendris de Virgile, la noble prose de Tite-Live, l’ardente rhétorique de Tacite, ne lui ont jamais représenté qu’une salle d’étude puante, où, parmi les faces grossières des camarades, sous le regard inquisiteur du maître, il s’agit de noircir une feuille de papier blanc, afin de mériter l’éloge inutile d’un proviseur haï, au jour de la distribution des places. « Je ne sais pas ce que c’est que la liberté, moi, ni ce que c’est que la patrie. J’ai toujours été fouetté, giflé, — voilà pour la liberté ; — pour la patrie, je ne connais que notre appartement où je m’embête et les champs, où je me plais, mais où je ne vais pas… » Tel est le cas qu’il fait des sentiments exprimés par les grands poètes d’autrefois.