À propos d’une de ces querelles d’étiquette et de prérogative que Saint-Simon souleva, Louis XIV ne put s’empêcher de remarquer « que c’était une chose étrange que, depuis qu’il avait quitté le service, M. de Saint-Simon ne songeât qu’à étudier les rangs et à faire des procès à tout le monde », Saint-Simon était possédé sans doute de cette manie de classer les rangs, mais, surtout et avant tout, de la passion d’observer, de creuser les caractères, de lire sur les physionomies, de démêler le vrai et le faux des intrigues et des divers manèges, et de coucher tout cela par écrit, dans un style vif, ardent, inventé, d’un incroyable jet, et d’un relief que jamais la langue n’avait atteint jusque-là. […] Je ne sais qui a dit de Saint-Simon que quand il écrit mal, et quand il force les termes, il est déjà dans la langue le premier des barbares. […] Après avoir ainsi épuisé avec une curiosité avide et subtile, et une richesse de langue inimaginable, toutes les formes, toutes les postures et les attitudes plus ou moins naturelles ou contraintes de cette vaste désolation de Versailles, il revient alors à ses deux princes et princesses du premier salon, et aux physionomies de première qualité qu’il nous livre également dans toutes leurs nuances. […] Irrassasiable d’émotions et infatigable à les exprimer, il ne tarde pas à pousser la langue jusqu’à ses dernières limites.