La conscience, d’abord uniforme, confuse et diffuse, devient ainsi un monde de contrastes ; chaque sens a sa langue propre, qu’il entend et que les autres sens n’entendent pas. Spencer dit qu’il y a une langue mère dans laquelle toutes les autres peuvent être traduites : la langue de la résistance ; selon nous, il y a une langue plus universelle, plus primitive, celle de l’appétition. Les sciences de la nature transcrivent tous les phénomènes en termes de mouvement ; mais les mouvements eux-mêmes ne sont encore qu’une langue dérivée, une algèbre propre à exprimer des rapports : le fond même de la vie, l’original de l’existence échappe à toutes ces translations mécaniques et ne se saisit qu’en termes de l’ordre mental. […] Ce qui induit ici en erreur, c’est que, dans nos langues, le terme d’intensité éveille nécessairement une idée de relation, de mesure : une chose est dite intense par rapport à une autre ; mais, dans la réalité, l’énergie d’une action exercée sur notre organisme produit dans la conscience un effet particulier d’intensité qui n’a besoin ni d’être nommé ni d’être mesuré pour être senti, et qui, au contraire, ne peut être mesuré par comparaison avec un autre qu’après avoir été senti directement en lui-même. […] De ce que je ne puis exprimer ni traduire ma sensation du rouge dans la langue du raisonnement, comment inférer, avec Wundt, qu’elle soit la conclusion d’un raisonnement, sauf à se tirer ensuite d’affaire en disant que ce raisonnement est inconscient ?