Près d’un siècle avant, le Voyage de Charlemagne avait amusé Paris et l’Ile-de-France ; c’est un poème, presque parodique, d’une belle langue et d’une versification sûre : douze syllabes et la césure médiale : Trancherai les halbers | et les helmes gemez Aux mêmes époques, un vers latin était fort usité par les poètes de cloître ou de grand chemin : Plena meridie | lux solis radiat. […] Il est toujours inutile, pour les questions de langue ou de littérature, d’en référer à la Grèce, puisque rien ne nous est venu de là que par l’intermédiaire de Rome ; cependant, pour achever cette histoire, il faut donner le patron de l’asclépiade latin : [texte en caractères grecs] (Sapho) Si donc il s’agit de rénover « essentiellement » l’alexandrin, il s’agit de briser une tradition aussi vieille que la civilisation occidentale204, et nous voilà en même temps assez loin de ce que dit trop légèrement Théodore de Banville dans sa Prosodie : « Le vers de douze syllabes, ou vers alexandrin, qui correspond à l’hexamètre des Latins, a été inventé au xiie siècle par un poète normand… » Il ne faut pas citer cela sans correction. L’alexandrin n’a aucun rapport, ni de filiation, ni de parenté, vers syllabique, avec l’hexamètre, vers métrique, disparu avec la métrique latine elle-même, lors de la formation des langues novo-latines, où les mots, trop contractés (latrocinium-larcin), se refusent aux jeux savants de la prosodie. Comme la langue française, le vers français est un vers d’origine populaire, c’est-à-dire traditionnelle, et il ne pouvait emprunter au latin que des éléments assimilables à sa propre nature . […] II Ce bref résumé de l’histoire de la versification française permettra plus facilement de discuter la théorie du vers libre, de juger si la réforme que l’on propose, et qui a déjà été tentée par deux ou trois poètes contemporains, est dirigée dans le sens traditionnel de la langue et de la poésie de France.