Nous voulons tel mouvement et, sous l’influence médiatrice de l’imagination, qui traduit pour ainsi dire dans le langage de la sensibilité les dictées de l’intelligence, du fond de notre être émergent des mouvements élémentaires dont le mouvement voulu est le terme et l’accomplissement. […] Le langage, si utile aujourd’hui pour l’expression de nos pensées, est lui-même un instrument d’erreur quand il s’agit de retracer l’évolution de nos pensées ; il nous fait juger l’animal d’après l’homme, l’enfant d’après l’adulte et même d’après l’adulte civilisé du XIXe siècle. […] On peut, par le langage, mal traduire l’état réel de son intelligence, mais la croyance interne et vraie est toujours une traduction exacte de la contrainte subie par nos facultés sensitives et représentatives. […] Si je recommence un grand nombre de fois à toucher la flamme qui m’a brûlé ou tout au moins à en sentir la chaleur croissante à mesure que j’en approche le doigt, si j’additionne grosso modo dans ma mémoire tous les cas positifs, si j’ai conscience, au contraire, de l’absence d’aucun cas négatif, si je vois ainsi les raisons pour (égales à un nombre indéfini) et les raisons contre (égales à zéro), si enfin j’ai le langage qui me permet de traduire la direction d’esprit résultant de cette comparaison, j’arriverai à cette proposition générale : le feu brûle. […] Sans doute l’enfant et l’animal ne dégagent pas ces lois abstraites ; ils n’en obéissent pas moins à ces lois ; et si l’animal avait à sa disposition, comme l’enfant, l’instrument du langage, il pourrait abstraire et généraliser la loi de raison suffisante et d’identité sous laquelle il agit.