La fusion en un tout d’une multitude de plaisirs ou de peines à l’état naissant a fini par paraître étrangère au plaisir et à la peine, mais ne vous laissez pas prendre à cette apparence : toute sensation de chaleur ou de fraîcheur est du plaisir ou de la peine qui commence, c’est de l’émotion qui s’apprête et sollicite la volonté, c’est un ébranlement qui se prépare à passer de l’état moléculaire à l’état massif. […] C’est donc bien l’intérêt, l’appétit, qui opère la sélection dans les sensations mêmes, qui met en relief les unes et laisse les autres dans l’ombre. […] C’est pour cela même qu’il peut devenir partie intégrante du souvenir : il y a déjà de la mémoire dans l’éclair de sensation le plus instantané : ce qui n’aurait aucun retentissement, aucune persistance, si petite qu’elle soit, aucune durée, ne laisserait aucune trace, ne naîtrait que pour mourir en un même instant. […] En définitive, il y a des sensations différenciées qui, si elles sont réunies et encore mal intégrées, mal fondues, se laissent analyser par la conscience, comme certains éléments se laissent discerner par le dégustateur dans un arôme qui, pour tout autre, paraîtrait indécomposable. […] Ne faut-il pas toujours en venir à quelque chose qui soit senti d’une manière immédiate, à quelque « marque » qui se laisse apercevoir en elle-même et par elle-même ?