Les diverses esthétiques répondent à des tendances diverses de notre nature, qu’on ne peut pas sacrifier l’une à l’autre. […] Il n’y a pas deux espèces de réalités, l’une physique et l’autre mentale. […] Ajoutons que les émotions passées se présentent à nous dans une sorte de lointain, un peu indistinctes, fondues les unes avec les autres ; elles sont ainsi plus faibles et fortes tout plus ensemble, parce qu’elles entrent l’une dans l’autre sans qu’on puisse les séparer ; nous jouissons donc à leur égard d’une plus grande liberté, parce que, indistinctes comme elles sont, nous pouvons plus facilement les modifier, les retoucher, jouer avec elles. […] Les Indiens, pour se rappeler les grands événements, faisaient des nœuds à une corde, et ces nœuds disposés de mille manières rappelaient par association un passé lointain ; en nous aussi se trouvent des points où tout vient se rattacher et se nouer, de telle sorte qu’il nous suffit de suivre des yeux ces séries de nœuds intérieurs pour retrouver et revoir l’une après l’autre toutes les époques de notre vie.