À peine y pourrait-on trouver un poisson, un coquillage ou un crustacé qui fût commun à l’une et à l’autre ; et cependant elles ne sont séparées que par l’isthme étroit mais infranchissable de Panama. […] De sorte que nous avons ici trois faunes marines s’étendant toutes les trois fort loin vers le nord et vers le sud, selon des lignes parallèles aux côtes américaines, peu éloignées l’une de l’autre et sous des climats correspondants ; mais séparées qu’elles sont par des barrières infranchissables, c’est-à-dire par des terres continues ou par des mers profondes et ouvertes, elles sont complétement distinctes. […] Nous ne saurions espérer pouvoir rendre compte de tels faits, jusqu’à ce que nous puissions dire pourquoi telle espèce plutôt que telle autre s’est naturalisée par l’intermédiaire de l’homme sur une terre éloignée ; et pourquoi l’une a une extension du double ou du triple, et compte le double et le triple d’individus sur un même espace, comparativement à une autre espèce, également considérée dans sa patrie naturelle. […] Et si l’une ou l’autre de ces stations est ensuite mise en communication avec d’autres régions, l’une ou l’autre de ces variétés nouvelles pourra y émigrer et y produire à son tour d’autres variétés et d’autres espèces qui se répandront de proche en proche jusqu’aux contrées les plus éloignées. […] Si l’espèce n’est qu’une variété agrandie, et chaque variété une espèce naissante, et si enfin les espèces elles-mêmes sont la souche des genres subséquents, il est évident que la variété, l’espèce et le genre lui-même ont toujours eu un berceau unique, seulement plus ou moins reculé dans la série des temps géologiques ; même dans le cas où une seule espèce, parfaitement identique, résulterait de deux variétés convergentes sorties de deux espèces distinctes, il faudrait admettre chez l’une et chez l’autre une tendance de réversion aux caractères des mêmes aïeux, ce qui suppose une origine commune.