Quand le titan console ses souffrances par le souvenir attendri de ce qu’il a fait pour les hommes, quand il rappelle la misérable condition de ces pauvres êtres « qui avaient des yeux et ne voyaient pas, des oreilles et n’entendaient pas », — comme il les a trouvés blottis au fond d’obscures cavernes, incapables de marquer le cours des saisons, ignorans de tout métier, de tout raisonnement, jouets de la confusion et du hasard, — comme il leur a révélé l’usage des nombres et de l’écriture, l’art d’observer le lever et le coucher des étoiles, de bâtir des maisons, de dresser les animaux, de guérir les maladies, de naviguer sur la mer, de pratiquer les différens modes de divination, — quand enfin, sous l’angoisse de son supplice, en face de l’odieux ministre de Jupiter, il prédit la chute de son tyran, le triomphe de la justice et sa propre apothéose, — n’est-ce pas l’histoire même du progrès, attesté par les laborieuses conquêtes de l’esprit sur la nature, sanctifié et couronné par le dévoûment des meilleurs à la cause du genre humain ? […] Ceux qui s’en vont lèguent en mourant, sous forme d’exemples, d’enseignement, de chefs-d’œuvre ou de bonnes œuvres, quelque chose de l’intelligence ou de la moralité qu’ils contenaient en eux, et ceux qui viennent, recueillant cet héritage, y peuvent ajouter toujours plus de connaissances, plus de justice et de charité. […] La guerre peut être l’occasion de quelque bien, elle n’en est presque jamais la cause véritable et immédiate ; elle peut accidentellement se faire l’auxiliaire du progrès en renversant par la conquête les barrières qui séparent les peuples, en mélangeant les races, en propageant violemment des idées nouvelles ; mais, pour de tels bienfaits, combien plus efficaces sont les moyens pacifiques : développement du commerce et de l’instruction et surtout de l’esprit de justice et de fraternité ! […] L’humanité conçoit, obscurément d’abord, plus clairement à mesure qu’elle avance, un idéal de science, de justice, de perfection.