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375. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

C’est un mot du même juge, que « Charles XII n’est qu’un roman. » Il faut y voir moins un jugement que le dépit de n’avoir pas trouvé dans Charles XII ce qu’il y cherchait. […] En deux pages, nous suivons la petite armée de Shulenburg, faisant tête à Charles XII en reculant, poursuivie et paraissant escortée, enfin lui échappant, avec la gloire de lui faire dire : « Aujourd’hui Shulenburg nous a vaincus. » On voudrait avoir le jugement de Montesquieu sur la bataille de Pultawa et la retraite de Charles XII, plus semblable à une fuite que celle de Shulenburg. […] Si Buffon est aujourd’hui jugé pour ce qu’il vaut, nous en avons l’obligation principale à la science elle-même, complice d’abord de ces jugements dédaigneux qui réduisaient tout son mérite au beau langage. […] Buffon, comme Descartes, cherche la solitude et fuit la société, « où, dit-il, pour une phrase quelquefois utile qu’on y recueille, ce n’est pas la peine de perdre une soirée entière. » Mais Descartes défend sa retraite avec une sorte de jalousie, et il en change à plusieurs reprises, pour dépister les visiteurs, en qui il voit des préjugés personnifiés qui viennent tenter son jugement. […] De ce mélange de maximes empruntées aux anciens ou tirées de son fonds, s’est formé comme le miel de ce doux livre, qui a fait dire à Montesquieu parlant de Rollin : « C’est l’abeille de la France. » Mot charmant et profond, où l’on sent à la fois l’affection et le jugement, vraie saillie de cœur à propos d’un homme dont le cœur est tout le génie.

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