Ayant manié la machine, ils savent comment elle joue, ce qu’elle vaut, ce qu’elle coûte, et ne sont point tentés de la jeter au rebut, pour en essayer une autre qu’on dit supérieure, mais qui n’existe encore que sur le papier. […] La tragédie du temps n’en diffère presque pas, sauf en ceci qu’elle a toujours l’air solennel et ne se joue qu’au théâtre ; l’autre prend toutes les physionomies et se trouve partout, puisque la conversation est partout. […] Autant vaudrait prescrire à leurs femmes, qui tous les soirs vont au théâtre et jouent la comédie à domicile, de ne pas attirer chez elles les acteurs et chanteurs en renom, Jelyotte, Sainval, Préville, le jeune Molé qui, malade et ayant besoin de réconfortants, « reçoit en un jour plus de deux mille bouteilles de vins de toute espèce des différentes dames de la cour », Mlle Clairon qui, enfermée par ordre à For l’Évêque, y attire « une affluence prodigieuse de carrosses », et trône, au milieu du plus beau cercle, dans le plus bel appartement de la prison498. […] Catherine II fait venir Diderot, et, tous les jours, pendant deux ou trois heures, joue avec lui le grand jeu de l’esprit. […] Pour les aimables « oisifs » que décrit Voltaire502, pour « les cent mille personnes qui n’ont rien à faire qu’à jouer et à se divertir », elle est le pédagogue le plus déplaisant, toujours grondeur, hostile au plaisir sensible, hostile au raisonnement libre, brûlant les livres qu’on voudrait lire, imposant des dogmes qu’on n’entend plus.