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188. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

Il n’y a peut-être d’autre poésie à recueillir sur cette immense étendue de choses utiles que la plus inutile de toutes ces choses, le vol soudain et effarouché d’une alouette, fouettée du vent, qui s’élève tout à coup de cet océan d’épis jaunes, pour aller chanter on ne sait quel petit hymne de vie dans le ciel et qui redescend après avoir donné cette joie à l’oreille de ses petits, cachés dans le chaume ; le cri strident du grillon qui cuit au soleil sur la terre aride, ou le bruissement sec et métallique des pailles d’épis frôlées par la brise vague les unes contre les autres, et qui interrompent de temps en temps par un ondoiement de mer le silence mélancolique de l’étendue. […] Peut-être parce que l’alouette présente le contraste d’un peu de joie au milieu de cette monotonie de tristesse et d’un peu d’amour maternel au-dessus de son nid, cette délicieuse réminiscence de nos mères ; peut-être parce que le grillon nous rappelle le désert aride de Syrie où le cri du même insecte anime seul au loin la route silencieuse du chameau sur les sables brûlés de la terre ; peut-être parce que ce bruissement et cet ondoiement d’épis mûrs sous la brise folle nous transporte par l’analogie de son sur les vagues ridées de l’océan au pied du mât où frissonne ainsi la toile. […] Si la mer est peuplée de barques de pêcheurs comme un village flottant, on songe à la joie des chaumières qui attendent le soir le fruit du travail du jour, on voit sur la côte s’allumer une à une les lampes des phares, étoiles terrestres des matelots […] Songe et joie dans la jeunesse ; hymne et piété dans les dernières années.

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