/ 2128
301. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Cette lutte du Calvaire et de la Grèce, que l’heureux Fénelon ne soupçonnait pas, qui, d’abord confuse, égara René jusque dans les savanes, qu’il nous a bientôt rendue si distincte et si vivante sous les traits d’Eudore et de Cymodocée, elle n’a pas cessé avec les ans, il la porte en lui éternelle ; toujours, si austère que soit le sentier, si droite que semble la voie vers Jérusalem, il a des retours soudains vers Argos ; toujours, jusque dans le pèlerin du désert, on retrouve, aux accents les plus émus, l’ami de jeunesse d’Augustin et de Jérôme.  […] Le revoilà après tant d’années qui, semblable au fond, le cœur insoumis par la vieillesse, nous donne la vie du plus rigide et du plus mortifié des pénitents ; il a quelque peine, il nous l’avoue, à s’y assujettir ; son récitatif est fréquemment interrompu par des retours qui ont le sens des versets de Job sur le néant des choses, ou celui des distiques de Mimnerme sur la fuite de la jeunesse. […] Dans les premiers moments de sa retraite à Veretz, vers 1658, il avait bien pu borner ses vues à mener une vie innocente, confinée en une solitude exacte et entretenue de pieuses lectures ; mais il n’avait pas tardé, disait-il, à comprendre qu’un état si doux et si paisible ne convenait pas à un homme dont la jeunesse s’était passée dans de tels égarements. […] Génie inconsolablement mélancolique, imagination inépuisée, il a évoqué cette existence mortifiée avec un cœur relaps à la jeunesse. […] Le souffle et le parfum de l’amour expirent dans ces pages de la jeunesse, comme une brise le soir s’alanguit sur des fleurs : on s’en aperçoit et l’on ne veut pas se l’avouer.

/ 2128