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528. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

Après cette exclamation où le remords du séducteur prévaut sur la félicité même de l’amant, Dalti avoue à Portia qu’il n’est rien de ce qu’il paraît être ; qu’il est le fils d’un pêcheur de Venise, corrompu de bonne heure par les vices de cette ville débauchée ; qu’après avoir fréquenté les plus viles courtisanes et les maisons de jeu de Venise, il a trompé Portia sur son rang et sur sa fortune ; que ce rang est dérobé ; que cette fortune, acquise un moment au jeu, est perdue jusqu’à la dernière obole, et qu’il ne lui reste que cette barque achetée la veille pour gagne-pain. […] Cela rappelle ces espiègleries d’enfants qui promènent sur les lèvres fermées d’autres enfants comme eux, la barbe d’une plume pour les faire rire ; la lèvre rit, mais l’âme ne rit pas ; puérilité indigne d’un talent qui se respecte même dans ses jeux ! […] Bref, je lisais peu de vers alors, excepté ceux d’Hugo, de Vigny, des deux Deschamps, dont l’un avait le gazouillement des oiseaux chanteurs, dont l’autre avait, par fragments, la rauque voix du Dante ; j’entendais bien de temps en temps parler de Musset par des jeunes gens de son humeur ; mais ces vers badins, les seuls vers de lui qu’on me citait à cette époque, me paraissaient des jeux d’esprit, des jets d’eau de verve peu d’accord avec le sérieux de mes sentiments et avec la maturité de mon âge.

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