Cette admirable terminaison du chant second, qui exprime la vie des antiques Sabins, leur labeur opiniâtre durant l’année, leurs jeux aux jours de fête, jeux rudes encore et aguerrissants : Corporaque agresti nudant prœdura palaestra ; telle est la franche nature romaine primitive dans tout son contraste avec les loisirs et les passe-temps gracieux des chevriers de Sicile. […] Tout à l’heure il a fait le modeste exprès, pour engager l’autre et entamer le jeu ; maintenant qu’il a réussi à le faire chanter, il se montre tel qu’il se sent, et il relève à son tour son front de poëte : « Cher Lycidas, à moi aussi pasteur sur les montagnes, « les Nymphes m’ont appris bien d’autres belles choses « que la Renommée peut-être a portées jusques au trône de « Jupiter ; mais en voici une, entre toutes, de beaucoup supérieure, « avec quoi je prétends te récompenser. […] Toutes deux sont célèbres ; le Cyclope a de quoi peut-être se faire mieux goûter des modernes : le jeu de l’esprit et une sorte de malice s’y mêlent au sentiment. […] Le poëte n’a pas résisté au plaisir du contraste, et ce jeu corrige par trop l’effet de la passion. […] Je n’impute pas aux poëtes cette grossièreté ; les hommes apparemment n’étaient pas alors plus avancés en matière d’amour, et les poëtes de ce temps n’auraient pas plu si le goût général avait été plus délicat que le leur. » Puis, prenant à partie l’ode célèbre de Sapho, traduite par Boileau, le spirituel critique, en infirme qu’il est, n’y voit que l’image de convulsions qui ne passent pas le jeu des organes : « L’amour n’y paraît, ajoute-t-il, que comme une fièvre ardente dont les symptômes sont palpables ; il semble qu’il n’y avait qu’à tâter le pouls aux amants de ce temps-là, comme Érasistrate fit au prince Antiochus quand il devina sa passion pour Stratonice. » Poussant jusqu’au bout les conséquences de son idée, La Motte en vient à déclarer sa préférence pour Ovide, qui déjà laissait bien loin derrière lui Théocrite et Virgile sur le fait de la galanterie ; mais Ovide n’était rien encore en comparaison des modernes et de d’Urfé, qui a comme découvert le monde du cœur dans tous ses plis et replis : « C’est une espèce de prodige, remarque La Motte, que l’abondance de ces sortes de sentiments répandus dans Cyrus et dans Cléopâtre, comparée à la disette où se trouvent là-dessus les anciens. » Et quant au fameux exemple de la Phèdre de Racine, qui remet en spectacle ce même amour reproché par lui aux anciens, le critique s’en tire habilement : « Ce qui est chez eux un manque de choix, dit-il, devient ici le chef-d’œuvre de l’art.