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1034. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Il est disciple de Bacon, et le met au-dessus de tous les philosophes ; il juge que la véritable science date de lui, que les spéculations des anciens penseurs ne sont que des jeux d’esprit, que pendant deux mille ans l’esprit humain a fait fausse route, que depuis Bacon seulement il a découvert le but vers lequel il doit tendre et la méthode par laquelle il peut y parvenir. […] À cette distance et dans la perspective historique, je ne vois plus en lui qu’une machine spirituelle, munie de ressorts donnés, lancée par une impulsion première, heurtée par diverses circonstances : je calcule le jeu de ses moteurs, je ressens avec elle les coups des obstacles, je vois d’avance la courbe que son mouvement va décrire ; je n’éprouve pour elle ni aversion ni dégoût ; j’ai laissé ces sentiments à la porte de l’histoire, et je goûte le plaisir très-profond et très-pur de voir agir une âme selon une loi définie, dans un milieu fixé, avec toute la variété des passions humaines, avec la suite et l’enchaînement que la construction intérieure de l’homme impose au développement extérieur de ses passions. […] Il ne parle pas en historien, mais en contemporain ; il semble que sa vie et son honneur sont en jeu, qu’il plaide pour lui-même, qu’il est membre du Long Parlement, qu’il entend à la porte les mousquets et les épées des gardes envoyés pour arrêter Pym et Hampden. […] Un homme sensé pourrait dire des sottises pareilles au coin de son feu ; mais qu’un être humain, après avoir fait de tels jeux de mots, les écrive, les recopie, les transmette à l’imprimeur, en corrige les épreuves et les lance dans le monde, c’en est assez pour nous faire rougir de notre espèce1373.

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