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616. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

On a souvent remarqué cette alliance, au premier abord singulière, du génie poétique et du génie philologique ; mais ici elle a cela de plus particulier encore que le poëte énergique et brûlant qui va nous apparaître ne finit point par la philologie, ne s’y retira point après son premier feu jeté, mais qu’il débuta par là, et que, si ses souffrances précoces ne l’avaient impérieusement détourné des études suivies, c’est de ce côté sans doute qu’il aurait, avant tout, frayé sa voie et poussé sa veine patiente. […] J’ose dire aussi qu’il n’a point un cœur, qu’il ne sent point les doux frémissements d’un amour parfait, qu’il ne connaît point les extases dans lesquelles jette une méditation ravissante, celui qui ne sait point t’aimer avec transport, qui ne se sent point entraîner vers l’objet ineffable du culte que tu nous enseignes… Tu vivras toujours, et l’erreur ne vivra jamais avec toi. […] Le tout était accompagné de notes et de commentaires destinés à jeter une docte poussière aux yeux. […] Il oubliait un peu que Socrate déjà avait dit qu’il était impossible de vaquer aux choses publiques en honnête homme et de s’en tirer sain et sauf, et que Simonide avait déjà déploré amèrement la misère de la race des hommes ; ou plutôt il ne l’oubliait pas, mais il croyait qu’à travers ces plaintes et ces écueils inévitables, il y avait lieu, en ces temps-là, de vivre d’une vraie vie, au lieu d’être, comme aujourd’hui, jeté dans le monde des ombres. […] Cependant je me dis ce qui me reste à vivre, Je cherche quand viendra le moment qui délivre, Et je me jette à terre et j’étouffe mes cris.

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