Elle fut élevée d’abord au sein d’une campagne pittoresque et sauvage : ce charmant petit lac où le vent jetait quelquefois les pommes de pins de la forêt, et où elle conduisait, en se jouant, une barque légère, ces sorbiers, amis des oiseaux, ces pyramides de sapins tout peuplés d’écureuils qui se miraient dans les ondes, ces plaintes des joncs, ces rayons de lune sur les bouleaux pâlissants, tel fut le fond de tableau à jamais cher, où se déclara son innocente et déjà passionnée rêverie. […] Comme on retrouve là cette frêle et tendre adolescence jetée au bord de l’abîme, cette nature d’âme aimable, mystique, ossianesque, parente de Swedenbourg, amante du sacrifice, ce jeune homme qui, comme René, a dépassé son âge, qui n’en a su avoir ni l’esprit, ni le bonheur, ni les défauts, mais que le Comte, d’une voix moins austère que le Père Aubry pour Chactas, conviait seulement à ces douces affections qui sont les grâces de la vie, et qui fondent ensemble notre sensibilité et nos vertus ! […] Tête nue, ou tout au plus couverte d’un chapeau de paille qu’elle jetait volontiers, cheveux toujours blonds, séparés et pendant sur les épaules, avec une boucle quelquefois qu’elle ramenait et rattachait au milieu du front, en robe sombre, à taille longue, élégante encore par la manière dont elle la portait, et nouée d’un simple cordon, telle à cette époque on la voyait, telle, dans cette plaine, elle arriva dès l’aurore, telle debout, au moment de la prière, elle parut comme un Pierre l’Ermite au front des troupes prosternées. […] Les hommes, placés sur le haut de l’échelle par les grandes lumières, ont vu cette époque à la clarté que jetait sur elle la majesté des Écritures… La nature l’a confiée à ses observateurs ; les sciences s’en sont doutées ; la politique, couverte de honte, l’a pressentie dans ses chutes… « Oui, tous, soit en jouissant de ce grand secret encore voilé comme Isis, soit en tremblant de crainte que le voile des temps ne se déchirât, tous ont eu l’espoir ou la terreur de cette époque… « Quel cœur, en voyant tout cela, n’a pas aussi battu pour vous, ô France jadis si grande, et qui ressortirez plus grande encore de vos désastres ! […] Aujourd’hui qu’elle s’est jetée dans la dévotion mystique, elle fait des prophéties, c’est encore du roman, mais d’un genre tout opposé… » Il finissait et concluait du même ton : « L’Évangile en main, j’oserai lui dire que nous aurons toujours des pauvres au milieu de nous, ne fût-ce que de pauvres têtes. » L’anonyme du Journal de Paris se permit de trouver ce jeu de mots final plus digne de Potier ou de Brunet, que d’un chrétien sérieusement pénétré de l’Évangile.