Ce n’est pas là encore la femme à intelligence multiple, et libre dans ses choix d’esprit, que nous cherchons. […] Mais pour Montaigne, malgré ses taches légères et ses souillures, c’est bien différent : lui, il mérita de trouver sa fille d’alliance, une personne de mérite, une intelligence ferme, cette demoiselle de Gournay qui se voua à lui, fut sa digne héritière littéraire, son éditeur éclairé, mais qui elle-même, d’une trop forte complexion et d’une trop verte allure, finit par prendre du poil au menton en vieillissant et par devenir comme le gendarme rébarbatif et suranné de la vieille école et de toute la vieille littérature, — un grotesque, une antique. […] On était passé déjà du domaine de l’intelligence pure à celui de la mode. […] Une de ses filles marquait une intelligence avancée : « Elle serait fort propre à faire une femme savante : beaucoup de facilité et de pénétration d’esprit, dit-on ; mais cela rend-il heureuse ? […] Mais, revenant à l’idée première de cette Étude, à ces sortes d’amitiés d’esprit à esprit, à ces intimités d’intelligence et de sentiment, où il y a le plus souvent un sous-entendu d’amour qui ne sort jamais ; où il se mêle du moins, de femme à auteur, une affection plus tendre que d’homme à homme, n’ai-je pas raison de conclure en disant : Évidemment, la morale sociale a fait un pas ; un nouveau chapitre inconnu aux anciens, trop oublié même des modernes, est à ajouter désormais dans tous les traités de l’Amitié ?