/ 1381
553. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

Les amis de Flaubert, qui ne sont pas des sauvages, mais des apprivoisés très aimables et très doux, pratiquent un peu le même système… Pour délivrer leur ami de sa grossesse intellectuelle, ils font du bruit, autour du livre qu’il porte, tout le temps de sa laborieuse gestation, croyant par là l’exciter et lui donner la force de le pousser et finalement de le pondre : Ce sera superbe, disent-ils, ce nouveau livre de Flaubert, mais il y met le temps, car de pareilles œuvres ne sortent pas aisément d’un homme. […] Mais Flaubert, qui n’est pas rieur, pouvait le déshonorer, lui, d’une autre manière, par exemple dans une de ces études physiologiques ou pathologiques qui sont les coqueluches intellectuelles de ce temps-ci, et où il expliquerait scientifiquement l’âme orageuse de ce passionné et de ce pénitent des Thébaïdes, dont Chamfort, le libertin blasé, disait, en buvant, à souper, un verre de champagne entre deux Impures : « Je prendrais bien sur moi les rigueurs de sa pénitence, pour avoir le bénéfice de ses tentations !  […] comme force morale de haine et de mépris contre le bourgeois, il y a peut-être là un mérite pour Flaubert l’implacable, mais le mérite intellectuel d’un livre n’y est pas.

/ 1381