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439. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

C’était l’image de la bonté de M. de Mareste : gaie et chaude à l’intérieur avec les heureux du monde ; sensible, et humide et compatissante au dehors avec ceux qui souffrent et qui pleurent ; aimé de tout le monde, des heureux parce qu’il partage leur gaieté, des malheureux parce qu’il pleure sur eux comme eux-mêmes. […] » IV Nous causâmes sans mystère et sans colère des deux parts ; je lui dis que j’avais lu avec charme presque tout ce qu’il avait écrit, et qu’excepté le cynisme antipathique à ma nature et l’athéisme inacceptable par mon esprit, j’avais tout goûté de lui, même le scepticisme ; que je n’étais rien moins que sceptique cependant ; que je croyais fermement qu’il y avait une foi difficile à trouver, mais trouvable, un arcanum de la vie intérieure, dont la recherche était l’œuvre des grands esprits, et que, dans cette foi, il y avait non seulement la croyance, mais le repos ; que c’était l’affaire de la vie entière de la découvrir, que j’y travaillais, et que j’y travaillerais jusqu’à mon dernier jour, et que les hommes qui se disaient comme lui incrédules n’étaient que d’aimables paresseux qui revenaient sur leurs pas aux premières difficultés de la route ; que j’étais heureux de connaître en lui un de ces esprits impatients, découragés avant le temps, et que, s’il voulait venir à toute heure du soir finir avec moi les journées, nous causerions ou de Dieu, s’il voulait, ou de la littérature et des arts, lui me donnant du goût, moi de la foi, chacun dans notre mesure ! […] Couple heureux et brillant, vous qui m’avez admis Dès longtemps comme un hôte à vos foyers amis, Qui m’avez laissé voir en votre destinée Triomphante, et d’éclat partout environnée, Le cours intérieur de vos félicités, Voici deux jours bientôt que je vous ai quittés ; Deux jours, que seul, et l’âme en caprices ravie, Loin de vous dans les bois j’essaye un peu la vie ; Et déjà sous ces bois et dans mon vert sentier J’ai senti que mon cœur n’était pas tout entier ; J’ai senti que vers vous il revenait fidèle, Comme au pignon chéri revient une hirondelle, Comme un esquif au bord qu’il a longtemps gardé ; Et, timide, en secret, je me suis demandé Si, durant ces deux jours, tandis qu’à vous je pense, Vous auriez seulement remarqué mon absence. […] Tes feux intérieurs sont calmés, tu reposes ; Mais ton cœur reste ouvert au vif esprit des choses. […] Avec Virgile, on court peu de risque de se tromper, en inclinant le plus possible du côté de ses qualités intérieures.

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