Mais permettez-moi d’abord, pour bien vous faire comprendre dans quel esprit la France monarchique, religieuse et littéraire de 1819, assista à cette représentation unique, dont Talma était le grand intérêt après Racine, permettez-moi de vous raconter comment, et par quelles circonstances, et dans quelles dispositions poétiques il me fut donné à moi-même d’y assister ; et permettez-moi enfin de vous dire comment je garde, de cette représentation, une si longue et si vive mémoire. […] Il me répondait de sa main, avec une bonté aussi parfaite qu’elle était prompte : « Qu’il jouait ce soir-là dans Britannicus, qu’il partait le lendemain, à midi, pour sa campagne de Brunoy ; mais que, si je n’étais pas effrayé de l’heure matinale, il me recevrait à huit heures du matin le lendemain, et qu’il entendrait avec intérêt la lecture de mon ouvrage. » La cordialité et la promptitude d’une réponse si gracieuse, faite de la main du grand homme de la scène à un jeune homme inconnu, m’attachèrent instantanément et pour jamais à Talma. […] Parlez-moi comme à un père ; je me sens un véritable intérêt pour vous. » « — Je suis de province », lui répondis-je ; « ma famille est considérée dans notre pays ; elle habite ses terres dans les environs de Mâcon et dans les montagnes du Jura, patrie de ma grand’mère paternelle ; ma famille est riche, mais mon père ne l’est pas. […] Si je suis trop prophète dans ma diction, je tombe dans le prêtre fanatique, et je refoule dans les âmes l’intérêt qui s’attache au petit Joas, pupille du temple et du pontificat. […] Comme intérêt, le poète ne va pas chercher l’intérêt dans ces vaines curiosités surexcitées par des aventures laborieusement combinées et par des péripéties fantastiques ; il le place tout entier dans ce que la nature a fait de plus intéressant et de plus pathétique pour le cœur des mères, dans l’innocence, dans la candeur et dans les périls d’un enfant suspendu entre le trône et la mort !