La plûpart de ceux qui ont excellé dans quelque genre, y ont été entrainez par abondance de talent et de goût ; ils en ont atteint la perfection par instinct, je veux dire par un jugement confus et presque de simple sentiment, plûtôt que par des réflexions précises et aprofondies. […] La grandeur de l’action ; car qu’y a-t-il de plus grand, que de vaincre les plus forts instincts de la nature, et de sacrifier un bien qu’on voudroit, s’il étoit possible, racheter de sa propre vie ? […] Que les philosophes ne nous chicanent point sur les pressentimens, sur les instincts que nous employons en ces rencontres ; qu’ils ne trouvent pas à redire, par exemple, qu’un pere, à la présence d’un fils inconnu, sente une émotion secrete qui devance l’éclaircissement : ils nous démontreront sans doute que ces instincts ne sont pas de la nature, et que c’est le préjugé seul qui les a imaginés : mais laissons-les démontrer ce qu’il leur plaira ; allons à nôtre but, et profitons des préjugés du public pour son propre plaisir. […] Il faut avoüer que ces instincts ont quelque chose de flateur pour les hommes, et c’est par ce côté-là qu’ils y tiennent. […] Pour moi, quoique j’aie songé d’un côté à rendre Oedipe un des plus vertueux hommes du monde ; à le faire bon roi, bon mari, bon pere, bon fils même ; et d’autant meilleur qu’il l’est par l’impression du devoir, et non par celle de l’instinct, puisque celui qu’il croit son pere, ne l’est pas ; j’ai eu attention de l’autre, à lui donner un premier crime qui le rend coupable de ceux ausquels il a l’audace de s’exposer, de sorte qu’il est assez criminel, pour mériter d’être puni, et trop peu, pour ne pas mériter qu’on le plaigne.