Une conscience qui ne conserverait rien de son passé, qui s’oublierait sans cesse elle-même, périrait et renaîtrait à chaque instant : comment définir autrement l’inconscience ? […] Cet instant n’est que la limite, purement théorique, qui sépare le passé de l’avenir ; il peut à la rigueur être conçu, il n’est jamais perçu ; quand nous croyons le surprendre, il est déjà loin de nous. […] Ne devrions-nous pas nous attendre à trouver, entre sa durée et celle des choses, une telle différence de tension que d’innombrables instants du monde matériel pussent tenir dans un instant unique de la vie consciente, de sorte que l’action voulue, accomplie par la conscience en un de ses moments, pût se répartir sur un nombre énorme de moments de la matière et sommer ainsi en elle les indéterminations quasi infinitésimales que chacun d’eux comporte ? […] Elle opère par deux méthodes complémentaires — d’un côté par une action explosive qui libère en un instant, dans la direction choisie, une énergie que la matière a accumulée pendant longtemps ; de l’autre, par un travail de contraction qui ramasse en cet instant unique le nombre incalculable de petits événements que la matière accomplit, et qui résume d’un mot l’immensité d’une histoire. […] D’une part, nous voyons une matière soumise à la nécessité, dépourvue de mémoire ou n’en ayant que juste ce qu’il faut pour faire le pont entre deux de ses instants, chaque instant pouvant se déduire du précédent et n’ajoutant rien alors à ce qu’il y avait déjà dans le monde.